Trois mois tout juste après l’élection, le 9 mai, avec plus de 56 % des voix du président Ferdinand Marcos Jr – fils de l’ancien dictateur Ferdinand Marcos (1917-1989), chassé après vingt ans à la tête de l’État par la révolution populaire de 1986 –, le combat politique continue pour certains catholiques philippins déçus par le résultat des urnes.
Lundi 8 août, le dépôt d’un projet de loi à la Chambre des représentants de l’archipel, visant à imposer un couvre-feu nocturne de 22 heures à 5 heures pour les mineurs, a notamment suscité l’inquiétude du groupe national de jeunes catholiques San Lorenzo Ruiz, œuvrant notamment à promouvoir la vie du premier saint philippin mort en martyr en 1637 et canonisé par Jean-Paul II en 1987.
Dans une déclaration relayée par l’agence de presse UCA News, ce dernier a en effet qualifié le nouveau chantier législatif de « troublant ». « Les Philippines ont non seulement vu, mais déjà vécu, ce qui s’est passé pendant les heures de couvre-feu durant la période de la loi martiale [décrétée en 1972 par Ferdinand Marcos, NDLR]… Celles-ci n’étaient pas fixées pour renforcer la discipline, mais pour masquer l’anonymat des violateurs des droits de l’homme sous le régime Marcos », a ainsi fustigé le groupe.
« Actes illégaux »
« Le régime militaire de neuf ans ordonné par le président de l’époque a déclenché une vague de crimes, et engendré de graves violations des droits de l’homme, avec notamment l’arrestation et la détention arbitraires de dizaines de milliers de personnes, tandis que nombre d’autres étaient torturés, disparaissaient ou étaient tués. La plupart de ces actes illégaux avaient lieu la nuit, lorsqu’il n’y avait pas de témoins… », insistent encore les jeunes.
L’ONG Amnesty International a estimé, dans un rapport dédié, à 50 000 le nombre d’emprisonnements pour les seules premières années de 1972 et 1975, rapporte encore ainsi UCA News. À l’origine du nouveau projet de loi sur le couvre-feu, la députée Bernadette Herrera-Dy (membre du parti BH) fait valoir, quant à elle, que celui-ci pourrait permettre de « freiner » la criminalité – endémique – dans l’archipel de 109 millions d’habitants. Selon un rapport publié en 2021 par la fondation Cameleon Children, près de 70 000 enfants y sont victimes d’abus sexuels chaque année.
Vulnérabilité
« Les enfants de moins de 18 ans sont vulnérables aux abus, à l’exploitation, à la toxicomanie et aux actes criminels, et risquent également de commettre eux-mêmes des délits », a ainsi justifié l’élue le 7 août, précisant par ailleurs que son projet de loi prévoyait des exemptions pour les mineurs accompagnés d’un parent ou tuteur, ou pour ceux qui seraient en mesure de justifier de leur participation à une activité scolaire, religieuse, éducative, sociale ou communautaire officiellement organisée par une école, par les autorités locales ou par des associations civiques.
Si la loi passe, les réfractaires s’exposeraient à être amenés vers le poste de police le plus proche, et leur parent ou tuteur pourrait écoper de peines allant de l’acquittement de travaux d’intérêt généraux à des amendes plus ou moins lourdes. Voire une peine d’emprisonnement maximale de six mois, en cas de récidive de l’enfant. Porte-parole du groupe de San Lorenzo Ruiz, Jose de la Rama remettait encore en cause ce projet auprès d’UCA News : « pourquoi avons-nous besoin d’une autre loi pour réglementer nos actions avec un couvre-feu ? Nous avons déjà suffisamment de lois pour prévenir les crimes ».
Engagement des évêques
Fin février, en plein cœur de la campagne présidentielle, les évêques philippins avaient exprimé – sans prendre nommément parti pour un candidat – dans une lettre pastorale engagée, la crainte que le pays ne cède à la tentation du « révisionnisme historique » et « au virus des fake news ». Un moyen, en filigrane, de s’ériger contre le risque d’un nouvel autoritarisme incarné par l’accession au pouvoir de Marcos Jr.
« Il a qualifié la période de la loi martiale d’“âge d’or” des Philippines, fustigeait alors auprès de La Croix Jaypee Calleja, avocat et correspondant à Manille d’UCA News. C’est une vision très pauvre de l’histoire, paradoxalement soutenue par beaucoup de jeunes n’ayant pas connu cette époque ».